Samedi 21 juin 2014 : Fête du Corps et du Sang du Christ

Publié le 22 Juin 2014

Samedi 21 juin 2014 : Fête du Corps et du Sang du Christ

          On connaît tous, malheureusement, ces images insoutenables de famines ou « d'émeutes de la faim ». Et l'on connaît aussi, dans nos pays et nos sphères, ces lendemains de fêtes où l'on a trop mangé, où on ne peut plus rien avaler, où la seule solution pour en sortir semble être la diète. Quel abysse entre ces deux situations ! « Il faut manger pour vivre », disait Valère dans l'Avare de Molière. Et il faut avoir faim pour manger.

            C'est sur cela que m'ont fait méditer les textes de ce jour, en cette fête du Corps et du Sang du Christ, en cette fête du banquet eucharistique. Comme si cette fête pouvait nous renvoyer à notre faim et donc aussi, sans jeu de mot, à notre finitude. L'eucharistie n'est pas seulement le lieu où nous sommes rassasiés, c'est aussi le lieu où nous éprouvons notre plus profonde dépendance.

            « Le Seigneur ton Dieu t'a imposé (quarante année de marche dans le désert) pour te faire connaître la pauvreté (…) il t'a fait sentir la faim », racontait le livre du Deutéronome. Étrange méthode de Dieu qui tout  à la fois « donne la manne » et « fait sentir la faim », ouvrant par là non pas à la nécessité de la manne, mais à la nécessité du donateur de cette manne, « pour te faire découvrir que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur ».  

            Peut-être êtes vous comme moi... Au moment où je viens de communier, je me dis que ce bout de pain devenu réellement Corps du Christ, certes, mais resté physiquement bout de pain, n'est pas bien nourrissant. Pour montrer combien il était vital, le Christ aurait pu nous inviter à manger une grosse miche de pain ou quelque chose de plus consistant, mais non... reste ce bout de pain qui ne tient pas l'estomac. Et, communiant ainsi, s'ouvre ma faim. C'est-à-dire, en moi, un creux. Un manque. Un espace. Et le lieu de la communion devient tout à la fois lieu du rassasiement et lieu de l'ouverture, de la tension vers un ailleurs, d'un décentrement de moi-même puisque je ne me suffit plus pour vivre. J'ai besoin de manger autre chose pour calmer ma faim... (et nous sommes heureux de pouvoir partager l'apéritif ou le repas, après les messes, n'est-ce pas, pour calmer nos faims!). Mais j'ai aussi besoin des autres. Et du Tout Autre. De leur parole et de Sa Parole. De leur présence et de Sa Présence. Celui qui a faim n'est pas tourné vers lui-même, mais vers ceux qui peuvent le rassasier... Et les foules que Jésus vient de nourrir avec cinq pains et deux poissons sont désormais tendues vers lui. La communion eucharistique est à la fois banquet extraordinaire où rien de plus grand ne peut être reçu, et expérience fondamentale de dépendance radicale ouvrant la possibilité de liens devenus nécessaires pour vivre.

            Par la communion eucharistique, les autres deviennent pour moi indispensables, et mon lien avec eux devient nécessaire. C'est l'image que déploie saint Paul dans plusieurs de ces lettres, et encore aujourd'hui : « Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain. » La multitude que nous sommes, liés à jamais. Nous ne pouvons plus vivre les uns sans les autres. Nous ne pouvons plus faire comme si l'autre n'était pas là ou n'avait pas d'importance. Nous ne pouvons plus ne pas nous sentir solidaires les uns des autres (et c'est pour cela que les images de famines que j'évoquais au début nous sont insupportables, alors même que nous ne connaissons pas les personnes sur les photos, nous percevons notre lien d'humanité dans la Création). « L'eucharistie fait l’Église » aussi en ce sens là. L'eucharistie fait l’Église parce qu'elle ouvre nos existences tentées de se replier sur elles-mêmes, à toutes les existences qui nous entourent, qui nous ont précédées et qui nous succéderont, dans l'immense histoire de l'humanité. L'eucharistie fait l’Église parce qu'elle la nourrit de la présence de Dieu et qu'elle ouvre à la faim (F-A-I-M) de l'autre sans plus jamais pouvoir en être rassasiés.

            Et nous voilà naissant à la vie éternelle. Cette vie qui n'est pas enfermement sur un moi repus et autosuffisant, mais totale ouverture et don jusqu'au bout de nos existences. Comment entendre autrement cette affirmation de Jésus : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement » ? Il est celui qui nous nourrit et nous apaise de sa présence, en même temps qu'il nous ouvre à d'autres horizons et jusqu'à Dieu. Il est Celui qui se donne à nous jusqu'au bout, pour que nous nous donnions nous-mêmes et « que le monde ait la vie ».

            « Celui qui me mangera vivra par moi. » Le Dieu Tout-Puissant se fait nourriture qui donne faim, qui appelle à toujours plus de relation et d'attention, de tendresse et de pardon, de bonté et de justice. Il n'est pas de ces gueuletons qui rassasient une fois pour toute jusqu'à la prochaine fois, et l'acte de communier ne se suffit pas de la mandication de l'hostie. L'eucharistie va en l'homme jusqu'au bout de sa logique d'action de grâce et de service... pour que le monde ait vraiment la vie.

            Qu'en cette fête du saint-sacrement, qu'en cette communion eucharistique si souvent renouvelée, nos propres faims soient creusées et ravivées. Pour que jamais, jamais nous ne soyons rassasiés de nos frères et sœurs, mais que nous nous ouvrions de l'intérieur de nous-mêmes et à Dieu totalement donné en Christ, et aux autres avec qui nous formons Son Corps.

            Amen.

P. Benoît Lecomte

Livre du Deutéronome 8,2-3.14b-16a.
Moïse disait au peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire connaître la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : est-ce que tu allais garder ses commandements, oui ou non ?
Il t'a fait connaître la pauvreté, il t'a fait sentir la faim, et il t'a donné à manger la manne - cette nourriture que ni toi ni tes pères n'aviez connue - pour te faire découvrir que l'homme ne vit pas seulement de pain, mais de tout ce qui vient de la bouche du Seigneur.
n'en tire pas orgueil, et n'oublie pas le Seigneur ton Dieu qui t'a fait sortir du pays d'Égypte, de la maison d'esclavage.
C'est lui qui t'a fait traverser ce désert, vaste et terrifiant, pays des serpents brûlants et des scorpions, pays de la sécheresse et de la soif.
C'est lui qui, pour toi, a fait jaillir l'eau de la roche la plus dure. C'est lui qui, dans le désert, t'a donné la manne - cette nourriture inconnue de tes pères - pour te faire connaître la pauvreté et pour t'éprouver avant de te rendre heureux.

Psaume 147,12-13.14-15.19-20.
Glorifie le Seigneur, Jérusalem !
Célèbre ton Dieu, ô Sion !
Il a consolidé les barres de tes portes,
dans tes murs il a béni tes enfants.

Il fait régner la paix à tes frontières,
et d'un pain de froment te rassasie.
Il envoie sa parole sur la terre :
rapide, son verbe la parcourt.

Il révèle sa parole à Jacob,
ses volontés et ses lois à Israël.
Pas un peuple qu'il ait ainsi traité ;
nul autre n'a connu ses volontés.

Première lettre de saint Paul Apôtre aux Corinthiens 10,16-17.
Frères, La coupe d'action de grâce que nous bénissons, n'est-elle pas communion au sang du Christ ? Le pain que nous rompons, n'est-il pas communion au corps du Christ ?
Puisqu'il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous avons tous part à un seul pain.

Évangile de Jésus Christ selon saint Jean 6,51-58.
Après avoir nourri la foule avec cinq pains et deux poissons, Jésus disait : « Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu'un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c'est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. »
Les Juifs discutaient entre eux : « Comment cet homme-là peut-il nous donner sa chair à manger ? »
Jésus leur dit alors : « Amen, amen, je vous le dis : si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme, et si vous ne buvez pas son sang, vous n'aurez pas la vie en vous.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle ; et moi, je le ressusciterai au dernier jour.
En effet, ma chair est la vraie nourriture, et mon sang est la vraie boisson.
Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi je demeure en lui.
De même que le Père, qui est vivant, m'a envoyé, et que moi je vis par le Père, de même aussi celui qui me mangera vivra par moi.
Tel est le pain qui descend du ciel : il n'est pas comme celui que vos pères ont mangé. Eux, ils sont morts ; celui qui mange ce pain vivra éternellement. »


 

Rédigé par Paroisse saint Jean Baptiste

Publié dans #Homélies

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