Mercredi 24 décembre 2014 : Messe de la nuit de Noël

Publié le 26 Décembre 2014

Mercredi 24 décembre 2014 : Messe de la nuit de Noël

Il y a quelques jours, j'étais dans un collège pour rencontrer un groupe d'aumônerie. Avec l'animateur, nous avions prévu de parler de Noël, de la façon avec laquelle chacun allait vivre cette fête, et ce qu'elle signifiait. Oui mais voilà : ce jour-là le groupe n'était constitué que de gars, et leur seule préoccupation, ce dont ils n'ont pas arrêté de parler pendant une heure, ce dont il nous a été impossible de détourner leur attention pour évoquer autre chose, était les vidéos pornographiques qu'ils regardent quotidiennement. Drôle d'entrée, me suis-je dit, pour parler de l'incarnation... où il est aussi question de chair... Mais l'abîme est immense. Cette année pourtant, ce sont ces ados qui m'ont éclairé la nouveauté de Noël...

            Ce à quoi sont devenus accros ces ados n'est autre que la marchandisation des corps, la chosification des personnes. L'autre n'est plus quelqu'un, il est un objet dont je peux user, comme un jouet... Si nous nous offusquons de savoir des jeunes devant des films pour adultes, notre réaction est-elle aussi vive lorsqu'il s'agit d'autres types de marchandisations et d'autres corps ? Quand il s'agit des milliers de migrants réduits à l'état de bétail entre les mains des passeurs, des politiques et de nos peurs ? Quand il s'agit d'employés réduits à des « masses salariales » qu'il importe de « faire fondre » ? Quand il s'agit d'agriculture intensive ou d'expropriation des petits agriculteurs, au risque des conséquences sur les générations présentes et à venir ? Quand il s'agit de déplacer des entreprises pour gagner sur la main d’œuvre, oubliant que des familles et des villes entières sont derrière ? Quand il s'agit de réduire les coûts, et donc les temps d'écoute et de présence, auprès des malades, des prisonniers, des enfants, des paumés... ou même de ne plus voir en l'autre qu'un boulet ou un moins que rien ? Tant de situations rappellent froidement combien nos corps, c'est-à-dire nos vies, nos relations, nos engagements, sont si vite marchandisés. Réduits à des jouets, à des choses ou à des chiffres, passés à la grande moulinette de l'économie mondiale, à des « variables d'ajustement », puis ventilés en pertes et profits.

            Ce que nous célébrons cette nuit va à l'inverse de cette vision. Dieu se fait homme. Dieu se fait bébé ! Cette annonce n'est pas ordinaire, il faut la redire et l'entendre avec tout son corps : Dieu se fait bébé. Le corps d'un nouveau-né, nu et fragile, là, dans la crèche, nous dit la vérité du Dieu Tout-Puissant et éternel... Le corps d'un homme, d'un enfant, est élevé à une dignité inouïe, divine. Entends-tu de tout ton corps cette annonce ? Car si elle concerne la vie d'un enfant il y a deux mille ans, elle concerne aussi la vie de chacun de nous, en ton corps, en ta chair, en tout ce que tu vis : Dieu s'est fait homme. Il n'y va pas par quatre chemins, il ne fait pas de périphrase, il ne tourne pas autour du pot... il ne dit pas qu'il faut être gentil et faire attention aux autres, non : il se fait lui-même homme, bébé.

            Noël est une belle fête pour les enfants et les familles. Mais Noël est aussi une fête pour les adultes. Une fête religieuse, aux conséquences multiples. Une fête pour toutes les dimensions de l'homme, qui vient profondément critiquer notre monde et nos rapports pour les resituer dans une perspective résolument nouvelle – peut-être, d'ailleurs, une perspective d'enfants, d'accueil, de confiance, de naissance. Une fête pour les adultes qui ont besoin de redevenir enfants.

            Souhaiter un « joyeux Noël » à quelqu'un, c'est plus que lui souhaiter une bonne fête. C'est lui dire : « Ta vie a du prix, un prix extraordinaire. Dieu lui-même t'a choisi pour le recevoir et être un visage de son amour. » C'est dire encore : «  Ton corps est beau, et je vois en lui la Lumière de Dieu qui vient me visiter et visiter notre monde. En toi, par toi, Dieu se rend présent à moi. Ta présence et sa présence me réjouissent. »

            Alors, que l'ouvrier et l'actionnaire, que le Nord et le Sud, que le riche et le pauvre, l'esclave et le bourreau, le malade et le soignant, le détenu et le gardien se souhaitent un joyeux Noël, allant jusqu'à revisiter leurs relations marchandes ou de dominations, et se reconnaissant d'une même humanité dont Dieu s'est follement épris. La fête de Noël est renversante, tant du point de vue de nos représentations (un Dieu qui se fait bébé, ça ne se fait pas!), que du point de vue des valeurs que nous défendons et des relations que nous entretenons.

            N'est-elle pas là, la véritable lumière de Noël ? Celle qui nous éclaire et nous réchauffe vraiment, de l'intérieur ? Celle que « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever », celle qui « resplendi sur les habitants du pays de l'ombre » ? Celle qui « prodigue la joie, qui fait grandir l'allégresse, qui apporte la paix, qui affermit le droit et la justice ». Comme une espérance à laquelle nous voulons nous accrocher – et nous avons raison, car elle ne déçoit pas. Espérance d'une nouvelle naissance, d'un avenir ouvert, dans l'inconnu de la vie. Écoutons ces enfants, nous redire l'urgence de vivre vraiment Noël quand ils attendent avec impatience qu'on mette le bébé dans la crèche...

            « Jésus vient, sur ton chemin. » Ce n'est pas une rhétorique religieuse. C'est un bouleversement radical et heureux. Nous ne sommes pas obligés de nous enfoncer inexorablement : chaque homme reçoit une dignité incomparable. Et ce, quelques soient nos chemins plus ou moins tordus, et quelques soient nos pas plus ou moins tâtonnants.

            Jésus vient sur ton chemin, pour faire la route avec toi, et toi avec lui. Comme deux amis qui peuvent compter l'un sur l'autre. A Noël, c'est Dieu qui compte sur nous, tel un enfant dépendant de tout.  Il compte sur nous pour faire ce que nous savons faire : aimer. Donner. Chanter. Réconforter. Partager. Danser. Prendre dans nos bras. Accueillir. Lutter. Résister parfois. Espérer toujours. Tout cela, nous savons le faire, et nous aimons le faire. Comme une façon de vivre déjà de la révolution de Noël, qui ne se suffit pas d'un jour et qui veut se revivre chaque jour !

            Joyeux Noël, à chacun ! Joyeux Noël avec tout ce que ce souhait porte de beauté, de profondeur, d'amour, d'engagement ! Que l'Esprit de Noël nous envahisse tout entier, et que notre monde, jour après jour, en soit transformé !

            Amen.

P. Benoît Lecomte

Livre d'Isaïe 9,1-6.
 

Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ; et sur les habitants du pays de l’ombre, une lumière a resplendi.
Tu as prodigué la joie, tu as fait grandir l’allégresse : ils se réjouissent devant toi, comme on se réjouit de la moisson, comme on exulte au partage du butin.
Car le joug qui pesait sur lui, la barre qui meurtrissait son épaule, le bâton du tyran, tu les as brisés comme au jour de Madiane.
Et les bottes qui frappaient le sol, et les manteaux couverts de sang, les voilà tous brûlés : le feu les a dévorés.
Oui, un enfant nous est né, un fils nous a été donné ! Sur son épaule est le signe du pouvoir ; son nom est proclamé : « Conseiller-merveilleux, Dieu-Fort, Père-à-jamais, Prince-de-la-Paix ».
Et le pouvoir s’étendra, et la paix sera sans fin pour le trône de David et pour son règne qu’il établira, qu’il affermira sur le droit et la justice dès maintenant et pour toujours. Il fera cela, l’amour jaloux du Seigneur de l’univers !

Psaume 96(95),1-2a.2b-3.11-12a.12b-13a.13bc.

 

Chantez au Seigneur un chant nouveau,
chantez au Seigneur, terre entière,
chantez au Seigneur et bénissez son nom !

De jour en jour, proclamez son salut,
racontez à tous les peuples sa gloire,
à toutes les nations ses merveilles !

Joie au ciel ! Exulte la terre !
Les masses de la mer mugissent,
la campagne tout entière est en fête.

Les arbres des forêts dansent de joie
devant la face du Seigneur, car il vient,
car il vient pour juger la terre.

Il jugera le monde avec justice,
et les peuples selon sa vérité !

Lettre de saint Paul Apôtre à Tite 2,11-14.

 

Bien-aimé, la grâce de Dieu s’est manifestée pour le salut de tous les hommes.
Elle nous apprend à renoncer à l’impiété et les convoitises de ce monde, et à vivre dans le temps présent de manière raisonnable, avec justice et piété,
attendant que se réalise la bienheureuse espérance : la manifestation de la gloire de notre grand Dieu et Sauveur, Jésus Christ.
Car il s’est donné pour nous afin de nous racheter de toutes nos fautes, et de nous purifier pour faire de nous son peuple, un peuple ardent à faire le bien.

Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 2,1-14.

 

En ces jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la terre –
ce premier recensement eut lieu lorsque Quirinius était gouverneur de Syrie. –
Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine.
Joseph, lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à la ville de David appelée Bethléem. Il était en effet de la maison et de la lignée de David.
Il venait se faire recenser avec Marie, qui lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte.
Or, pendant qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli.
Et elle mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune.
Dans la même région, il y avait des bergers qui vivaient dehors et passaient la nuit dans les champs pour garder leurs troupeaux.
L’ange du Seigneur se présenta devant eux, et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière. Ils furent saisis d’une grande crainte.
Alors l’ange leur dit : « Ne craignez pas, car voici que je vous annonce une bonne nouvelle, qui sera une grande joie pour tout le peuple :
Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur.
Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire. »
Et soudain, il y eut avec l’ange une troupe céleste innombrable, qui louait Dieu en disant :
« Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’Il aime. »

 

 
 

Rédigé par Paroisse saint Jean Baptiste

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