Mgr Rouet dit au revoir au diocèse de Poitiers

Publié le 16 Février 2011

17 années d’épiscopat poitevin de Mgr Albert Rouet

 

Dimanche 13 février 2011

 

Cathédrale Saint-Pierre et Saint-Paul de Poitiers

 

Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc 6,27-38

 

Nous ignorons quelle communauté chrétienne a gardé comme message essentiel ce que rapporte cet évangile, se distinguant ainsi du monde dans lequel elle vivait. Ensuite, il fut mis sous le nom de Luc.

Mais la distance entre ce texte et les premiers chrétiens appelés à le vivre, indique déjà l’essentiel. Ils arrivaient dans un monde qui ne les attendait pas. Un monde qui avait tout ce qu’il lui fallait, en fait de systèmes religieux, de temples, de sacerdoces, de prophètes, de devins, de rebouteux et de diseurs de bonne aventure ! Ce monde ne les a pas spontanément accueillis. Ils apportaient la vie, ils ont rencontré la mort. Ils apportaient de nouvelles relations, ils ont trouvé les portes closes.

Les distances sont encore plus grandes par rapport à celui qui a vécu le texte, le Christ, rendant l’amour là où on le condamnait, apparaissant miséricordieux au point de déplaire à tous les serviteurs d’un ordre irréfléchi. Et pourtant, il révélait bien le projet de Dieu. Ce projet est immense. Une création nous est confiée. Une humanité à faire naître, à conduire à son statut d’humanité fraternelle, pardonnante, compréhensive, miséricordieuse. Ce projet de Dieu est remis entre nos mains, des mains trop petites pour l’accueillir et le contenir. Entre le haut du grand vitrail qui préside en cette cathédrale depuis les années 1165 avec ce Christ de l’Ascension pénétrant au coeur de Dieu, et le bas du vitrail où Pierre est crucifié la tête en bas, où Paul face à Néron est décapité, et, les siècles passant, où figurent Aliénor d’Aquitaine et Henri II Plantagenet (qui n’étaient pas spécifiquement des saints), quelle distance ! Comment concilier la folie de Dieu dont parle Paul avec la réalité concrète de ce que nous sommes ? Quelle distance entre le message qui nous est confié et la réalité concrète de notre chair, de notre histoire, de notre vie ! ** *

L’évêque porte en lui cet écartèlement. Non pas d’abord parce qu’il manquerait de moyens. Nous manquons tous de moyens, un de plus ou un de moins, cela ne change rien. On n’a jamais assez d’argent, assez d’hommes ! Mais là n’est pas le problème. La difficulté naît de ce que nous ne sommes pas accordés spontanément à ce que Dieu nous confie. Croyez-bien que nul ne mérite d’être évêque ! A cette place on mesure l’écart énorme qui sépare le projet confié de la mission réalisée. A soi seul, on ne peut pas être évêque, pas plus qu’on ne peut être prêtre, pas plus qu’on ne peut être chrétien ; pas plus que nous-mêmes sommes à la mesure de notre humanité. Bien sûr, il existe tant de moyens pour se protéger, pour s’identifier soi-même à la mission reçue, pour épouser l’idéal confié, pour faire corps avec le Dieu que nous prétendons servir ou avec l’idéal vers lequel nous nous dirigeons ! On ne voit pas que dans ce matérialisme de la foi, nous dénaturons le projet même de Dieu. Parce que, ce que nous sommes, c’est Dieu qui nous le donne. Voilà pourquoi aujourd’hui, ce n’est pas la fête d’Albert Rouet, même si c’est à cause de son départ que vous êtes réunis. C’est votre fête ! Vous célébrez cette folie de Dieu qui nous appelle, nous, dans notre fragilité et nos limites, à ne pas coïncider avec lui mais à laisser ouvert l’espace où Dieu s’avance. Regardez bien ce vitrail ! Entre les hauteurs de l’Ascension et cette histoire terriblement humaine qui s’écoule, au point que parait-il au siècle de ce grand vitrail, cinq évêques ont été emprisonnés ou assassinés –au moins je n’ai pas risqué ces méfaits, merci- c’est le Christ lui-même qui remplit la distance. C’est Dieu qui comble, en venant vers nous, l’espace qui existe entre ce qu’il nous confie et ce que nous sommes. Voilà pourquoi ce vitrail nous dit tout.

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Dieu vient à nous sous la forme du dernier, du crucifié, de celui devant qui personne ne peut avoir honte, devant celui qui a porté nos plaies, devant un Dieu tellement humble que des hommes se sont mis à ricaner estimant pouvoir lui faire tout supporter. Ce Dieu-là ne correspond pas à nos rêves de puissance ; ce Dieu-là ne répond pas à nos volontés de pouvoir, à nos ambitions, à nos propres requêtes individuelles. Ce Dieu-là vient comme le pauvre. Ce crucifié est la vérité même de Dieu, un Dieu qui ne prend pas mais qui se donne, un Dieu qui ne s’éloigne pas mais se rapproche. Si le Christ prend la figure de ce Dieu, c’est qu’il veut toucher notre histoire avec des mains percées. Il y avance avec des pieds troués. Léger, humble et discret. Ce Dieu-là peut nous appeler, parce qu’il porte nos faiblesses; parce que nos plaies sont les siennes; parce que la petitesse et la fragilité de notre Eglise indiquent précisément sa juste place. Nous ne pouvons pas rêver d’une Eglise triomphante qui serait la servante d’un crucifié. Nous ne pouvons pas penser avoir des ministres omnipuissants qui seraient les ministres d’un Dieu qui s’est fait serviteur. C’est dans l’humilité de notre Eglise que se place la vérité de notre foi. C’est dans la reconnaissance de nos faiblesses que peut naître l’espérance. ** *

C’est ce à quoi aujourd’hui nous sommes appelés. Ne rêvez pas de quitter ce temps et les difficultés de l’heure en escomptant une loterie sacrée, qui vous donnerait au sortir de la cathédrale, tout ce dont vous auriez besoin. Mais en même temps, ce Dieu qui s’avance à nu, totalement offert, prêt à se situer entre nos mains, est aussi la figure de l’homme, du Fils de l’Homme. Voilà pourquoi nous n’arrêtons pas de dire qu’une société humaine, vraiment digne de ce nom, se juge à la manière dont elle traite ceux qui sont blessés, qui ont faim, qui viennent de loin. En ceux-là, la foi voit se révéler les traits du Christ qu’elle adore. Nous ne devenons pas hommes par la violence et la concurrence. Peut-être que sommes-nous en train de nous déshumaniser. Nous avons laissé subrepticement grandir chez nous l’idée que le succès, la volonté d’être gagnant et de l’emporter, serait le sommet de la culture et de la civilisation. C’est avec des ambitions de cette nature que nous préparons la barbarie la plus atroce. Car si c’est la force qui commande, n’escomptons plus rien d’humanité.

C’est donc un point central qui nous est laissé comme message d’un Dieu qui va jusqu’à se donner, ne gardant plus rien, au point de donner sa vie, son sang et l’eau qui coule de son côté et cette fragilité de l’homme en laquelle il advient. Le Fils respecte en l’homme la signature du Père. L’infini respect ne piétine personne, qui n’asservit personne, qui refuse de se servir de Dieu pour dominer ou s’imposer. Depuis la fin du XIIème siècle, c’est le message que ce vitrail nous livre : vrai Dieu et vrai homme.** *

Frères et amis, je n’ai rien d’autre à vous laisser. Je suis venu ne vous connaissant pas et les mains vides. Vous les avez bien remplies ! Je vous redonne vos semences pour que vous continuiez à les jeter en terre, en miséricorde, en service, en humilité. Frères prêtres, vous vous rappelez que, diacres également et nous évêques, nous nous sommes prosternés de tout notre long, abandonnant toute prétention à maîtriser par nous-mêmes, seuls, pour que le Christ puisse nous prendre et nous configurer à lui. Dans cet abandon et cette humilité, il y a la source même d’une humanité réelle. Vous aurez à continuer ce service. Vous aurez à prolonger l’espérance. Ne perdez jamais cette audace de l’humilité. Parce qu’entre cette mission et ce que nous pouvons faire, il y a les mains du Christ qui remplissent cet espace. Bonne route !

 

τ Albert Rouet

Archevêque de Poitiers

 


Rédigé par Paroisse Saint Jean Baptiste Angouleme

Publié dans #Méditation

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