Samedi 23 février 2013 : 2ème dimanche de carême C

Publié le 24 Février 2013

« Que ta volonté soit faite »

 

  • Homélie du P. Benoit Lecomte

 

          homme en prière« Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le. » « Écoute ! » C'est ainsi que commencent tous les commandements de la Loi : « Écoute Israël ! » « Écouter », qui donnera le verbe « obéir », du latin ob et audire, suggérant l'attitude d'une écoute empressée, attentive, suivie d'une adhésion personnelle à l'avis écouté. L'écoute du Fils entraîne l'adhésion à sa parole et à sa personne (sinon, quel besoin de l'écouter?). Alors il nous faut non seulement écouter, mais aussi obéir au Fils. Telle est la volonté du Père. Et nous voilà plongés dans cette demande de la prière que nous méditons en ce carême : « Que ta volonté soit faite ». Il nous faut passer vite sur cette phrase, sous peine de tomber. Jésus lui-même s'y est risqué, jusqu'au bout : « Non pas ma volonté, mais ta volonté, Père. » Sommet de l'obéissance, de la soumission, de l'abandon, de la servitude. C'est en tout cas ce qui peut nous paraître. Mais n'est-ce pas ainsi que nous disons et entendons souvent cette prière ? Et nous voilà reportés à tous les choix que nous avons dû poser et à tous ceux qui se présenteront à nous, grands ou petits, retournant comme par magie à Jésus la question qu'il pose à l'aveugle dans l'évangile : « Que veux-tu que je fasse pour toi ? » Que dois-je faire ? Quelle est la volonté de Dieu ? Comme une réminiscence du choix que Dieu laisse à l'homme dans le Deutéronome : « Je te propose aujourd'hui de choisir ou bien la vie et le bonheur, ou bien la mort et le malheur. Écoute les commandements que je te donne aujourd'hui : aimer le Seigneur ton Dieu, marcher dans ses chemins, garder ses ordres, ses commandements et ses décrets. Alors, tu vivras et te multiplieras ; le Seigneur ton Dieu te bénira dans le pays dont tu vas prendre possession. Mais si tu détournes ton cœur, si tu n'obéis pas, si tu te laisses entraîner à te prosterner devant d'autres dieux et à les servir, je te le déclare aujourd'hui : certainement vous périrez, vous ne vivrez pas de longs jours sur la terre dont vous allez prendre possession. » (Dt 30) A l'angoisse de ne pas faire la volonté de Dieu, s'ajoute celle de tomber dans le malheur. On comprend l'inquiétude d'Abraham : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que j'ai la possession du pays que tu promets ? » Et cette volonté divine, de paraître comme un couperet de notre propre liberté, de notre libre arbitre, de notre responsabilité. Un piège, même. Ne resterait alors possible qu'une soumission aveugle à une volonté dont nous cherchons à longueur de jour et de vie où elle est et comment y répondre. Car la volonté de Dieu n'est pas claire : ceux qui cherchent à la faire le savent bien. Terrifiante angoisse existentielle, si on en reste là ! Culpabilisation garantie pour celui ou celle qui ne trouve plus son bonheur: « n'aurais-je pas fait la volonté de Dieu en prenant telle voie, telle chemin de vie, telle option qui se présentait à moi ? »

          « Dieu veut que tous les hommes soient sauvés ». C'est saint Paul qui le dit dans sa lettre à Timothée (1 Tm 2, 4). C'est peut-être la seule chose que l'on sait sur la volonté de Dieu. Autrement dit, quand on dit : « Que ta volonté soit faite », on ne dit rien d'autre que ça : « Que tous les hommes soient sauvés, vraiment, réellement » ! C'est-à-dire : que tous les hommes soient vivants, en relation d'Amour avec tous les hommes, qu'ils vivent pleinement leur vie d'homme dans l'élan divin dont chacun est le fruit, dans la pleine puissance de vie dont chacun est porteur... qu'aucune poussière de mort ne soit présente en eux et que tous vivent dans la réconciliation et la paix.

          Loin. Nous sommes loin d'une pensée divine qu'il nous faudrait deviner par je ne sais quel exercice spirituel pour espérer ne pas se tromper et être heureux. Et rien de plus ne sera dit sur une quelconque conduite morale à tenir, ou une quelconque décision à prendre. Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et il veut que tu entendes cette volonté et que tu la fasses tienne. Vraiment. Intimement. Mais il ne te dit pas comment. Il te laisse libre. Car il te veut libre. Car il t'a fait libre : ce n'est pas pour te contraindre ou t'obliger ensuite ! Et dans ta liberté, il vient se dire à toi. Se dire : il est Parole. La Parole. La Parole que l'on écoute. « Ecoutez-le ».

         Avançons encore. La prière ne dit pas « que ta volonté soit faite en moi, ou en toi », elle dit « que ta volonté soit faite sur la terre ». Autrement dit, sur toute la terre, comme elle est vécue déjà dans l'éternel présent de Dieu. Afin que la terre ne soit plus différente du ciel, que toute trace de mort, d'injustice, de malheur ou de haine en ait disparu. « Nous sommes citoyens des cieux, disait saint Paul ; c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ, lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux ». La transfiguration de Jésus sur la montagne en est une préfiguration : en lui, le ciel et la terre sont réconciliés, l'homme – nous ! - est déjà ressuscité. L'Alliance est absolument réalisée, cette Alliance que Dieu avait déjà scellée avec Abraham, comme on cuit des quarts d'animaux qui ne pourront ainsi pas revenir à leur état antérieur (Gn). Si écouter le Fils s'adresse à chacun personnellement, s'il revient à chacun d'entrer dans la volonté du Père, le Fils nous ouvre aux dimensions de toute l'humanité, et la volonté du Père ne se réalise qu'à l'échelle de cette humanité, nous rendant solidaires les uns des autres. N'est-ce pas d'ailleurs dans cette solidarité que se vérifie concrètement le quotidien de celle volonté : « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé » ?

          Loin de devenir une source d'angoisse, l'écoute du Fils, la volonté du Père ne sont rien d'autre qu'un appel à vivre concrètement la profondeur et la vérité de l'amour. Chacun là où il est, enraciné dans son aujourd'hui, mais le cœur et le regard tournés vers toujours plus loin. C'est là, en ce lieu, dans le secret de sa Parole et du silence, dans les choix déjà posés et dans les décisions à venir, « qu'il nous fait connaître le Mystère de sa Volonté, ce dessein bienveillant qu'il avait formé par avance (…) : ramener toutes choses sous un seul Chef, le Christ » (Ep A, 9-10). Pour que se vivent du plus profond de nous-mêmes - et dans un même élan - le vertige de notre liberté et de notre abandon, et la puissance de recréation du Père, que nous offre l'écoute du Fils et la douceur de l'Esprit.

Amen.

P. Benoît Lecomte

 

  •  Textes du jour  

 

Livre de la Genèse 15,5-12.17-18.

 Le Seigneur parlait à Abraham dans une vision. Puis il le fit sortir et lui dit : « Regarde le ciel, et compte les étoiles, si tu le peux… » Et il déclara : « Vois quelle descendance tu auras ! »
Abram eut foi dans le Seigneur et le Seigneur estima qu'il était juste.
Puis il dit : « Je suis le Seigneur, qui t'ai fait sortir d'Our en Chaldée pour te mettre en possession de ce pays. »
Abram répondit : « Seigneur mon Dieu, comment vais-je savoir que j'en ai la possession ? »
Le Seigneur lui dit : « Prends-moi une génisse de trois ans, une chèvre de trois ans, un bélier de trois ans, une tourterelle et une jeune colombe. »
Abram prit tous ces animaux, les partagea en deux, et plaça chaque moitié en face de l'autre ; mais il ne partagea pas les oiseaux.
Comme les rapaces descendaient sur les morceaux, Abram les écarta.
Au coucher du soleil, un sommeil mystérieux s'empara d'Abram, une sombre et profonde frayeur le saisit.
Après le coucher du soleil, il y eut des ténèbres épaisses. Alors un brasier fumant et une torche enflammée passèrent entre les quartiers d'animaux.
Ce jour-là, le Seigneur conclut une Alliance avec Abram en ces termes : « A ta descendance je donne le pays que voici. »


Psaume 27(26),1.7-8.9abcd.13-14.

Le Seigneur est ma lumière et mon salut ;
de qui aurais-je crainte ?
Le Seigneur est le rempart de ma vie ;
devant qui tremblerais-je ?

Écoute, Seigneur, je t'appelle !
Pitié ! Réponds-moi !
Mon cœur m'a redit ta parole :
« Cherchez ma face. »

C'est ta face, Seigneur, que je cherche :
ne me cache pas ta face.
N'écarte pas ton serviteur avec colère :
tu restes mon secours.

Je le crois, je verrai les bontés du Seigneur
sur la terre des vivants.
« Espère le Seigneur, sois fort et prends courage ;
espère le Seigneur. 


Lettre de saint Paul Apôtre aux Philippiens 3,17-21.4,1.

Frères, prenez-moi tous pour modèle, et regardez bien ceux qui vivent selon l'exemple que nous vous donnons.

Car je vous l'ai souvent dit, et maintenant je le redis en pleurant : beaucoup de gens vivent en ennemis de la croix du Christ.
Ils vont tous à leur perte. Leur dieu, c'est leur ventre, et ils mettent leur gloire dans ce qui fait leur honte ; ils ne tendent que vers les choses de la terre.
Mais nous, nous sommes citoyens des cieux ; c'est à ce titre que nous attendons comme sauveur le Seigneur Jésus Christ,
lui qui transformera nos pauvres corps à l'image de son corps glorieux, avec la puissance qui le rend capable aussi de tout dominer.
Ainsi, mes frères bien-aimés que je désire tant revoir, vous, ma joie et ma récompense, tenez bon dans le Seigneur, mes bien-aimés.

 


Évangile de Jésus Christ selon saint Luc 9,28b-36.

Et voici qu'environ huit jours après avoir prononcé ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques, et il alla sur la montagne pour prier.

Pendant qu'il priait, son visage apparut tout autre, ses vêtements devinrent d'une blancheur éclatante.
Et deux hommes s'entretenaient avec lui : c'étaient Moïse et Élie,
apparus dans la gloire. Ils parlaient de son départ qui allait se réaliser à Jérusalem.
Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ; mais, se réveillant, ils virent la gloire de Jésus, et les deux hommes à ses côtés.
Ces derniers s'en allaient, quand Pierre dit à Jésus : « Maître, il est heureux que nous soyons ici ! Dressons donc trois tentes : une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. » Il ne savait pas ce qu'il disait.
Pierre n'avait pas fini de parler, qu'une nuée survint et les couvrit de son ombre ; ils furent saisis de frayeur lorsqu'ils y pénétrèrent.
Et, de la nuée, une voix se fit entendre : « Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi, écoutez-le. »
Quand la voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples gardèrent le silence et, de ce qu'ils avaient vu, ils ne dirent rien à personne à ce moment-là.

 


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